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16 août 2013 5 16 /08 /août /2013 12:43

Jacques Vergès a été un peu mon Dieudonné .

 

A l'adolescence, j'étais tombée en pâmoison devant le rebelle sublime et honteusement calomnié, croyais-je. J'avais trouvé noble le fait de défendre un nazi, parce que je me disais qu'on était soit-même sur la pente du nazisme si l'on refusait un avocat au nazi. Je voyais là un sacrifice limite héroïque, d'un homme jeté en vindicte à la foule, pour avoir eu le courage d'être démocrate même avec un bourreau..

 

Et puis, évidemment, lorsqu'il disait que si Barbie était condamné, alors on devait condamner aussi tous ceux qui avaient torturé en Algérie, tous ceux qui avaient participé aux crimes de la colonisation, j'étais trop bête pour comprendre qu'il ne disait pas que tous les crimes devaient être punis mais qu'aucun ne devait l'être, et surtout pas celui de Barbie.

 

Je ne savais pas encore qu'il y avait une extrême-droite assez retorse pour se vêtir de l'habit humaniste, je ne savais pas encore non plus, que la plus dure, la plus amère des leçons en politique, on l'éprouve le jour où l'on comprend que nos ennemis les plus terribles ne sont pas toujours en face, mais souvent à côté de nous, ayant tous les attributs apparents de la fraternité.

 

Je lis aujourd'hui les hommages à l'avocat d'Omar Raddad, à l'avocat des militants algériens torturés par l'armée française, à l'avocat des résidents de la Sonacotra, exploités par leur bailleur, à l'avocat de certains sans-papiers.

 

Et je regarde sa défense de Klaus Barbie, sans pouvoir aller jusqu'au bout tant l'ignominie et l'insulte faite à celles et ceux qu'il a prétendus aimer et soutenir y est insupportable : appeler à la barre la mémoire des morts en Algérie, en Afrique Noire, à Madagascar, des noyés du 17 octobre 1961 pour sauver la peau d'un nazi, d'un partisan de l'inégalité des races qui renvoyait toute une partie de l'humanité et notamment ces morts là au rang de nuisibles à exterminer et à esclavagiser...

 

Les mêmes mots que Dieudonné, la même rhétorique sadique et retorse, celle littéralement du néo-nazisme né après guerre, et de sa stratégie longuement et patiemment mûrie par cette génération de militants , Vergès, Garaudy, Faurisson, Dumas : utiliser la souffrance des uns contre la souffrance des autres, dresser les victimes contre les victimes, exhiber des cadavres martyrisés pour défendre les assassins d'autres martyrs.

 

Que n'a-t-on pas dit sur le talent de Vergès, sur sa capacité prétendue à dynamiter l'hypocrisie des prétoires de la justice « bourgeoise ». Mais ce qu'il dynamitait, ce n'était pas la justice bourgeoise, c'était l'idée de justice tout court, et l'idée d'humanité avec.

 

Grand bourgeois, qui avec un sourire d'aristocrate , dans son luxueux bureau, entretenait le mystère de sa « disparition », laissant entendre qu'il avait peut-être bien participé au génocide commis par les Khmers rouges, qui, donc , après tout , avait peut-être bien existé...ou pas. Quelle importance, nous disait son sourire et son silence, quelle importance , puisqu'au fond l'Histoire n'est qu'un flot de sang, où les seuls hommes qui comptent sont les Jacques Vergès, aventuriers cyniques sachant mener leur barque individuelle au milieu de la masse insignifiante des millions d'être humains qui sont trop bêtes pour mériter un destin ou une individualité.

 

Temporairement, Vergès et les siens ont gagné. Inutile de se le cacher, aujourd'hui, nombreux sont ceux qui rendent hommage à l'avocat des torturés de la guerre d'Algérie, sans voir qu'il n'est de pire insulte à leur mémoire que cet homme qui défendit nazis et négationnistes après les avoir défendus, eux.

 

Inutile de se le cacher, aussi, l'avocat de la terreur et les siens, ont réussi temporairement à associer une partie des victimes potentielles du fascisme à leur entreprise, à nous dresser les uns contre les autres, à faire de nous des étrangers les uns aux autres, à séparer les mémoires et les combats.

 

Temporairement, seulement. Car les faits sont têtus.

 

Un jour, de nouveau, l'on se souviendra que ce n'est pas la plaidoirie ignoble de Vergès en défense du nazi Barbie , pas son utilisation morbide de la souffrance des morts de la guerre d'Algérie qui a permis que la responsabilité des autorités françaises sur ce sujet soit enfin évoquée devant la justice.

 

C'est au proçès de Maurice Papon pour son rôle dans la collaboration au génocide commis contre les Juifs, qu'à l'initiative des parties civiles sera évoquée, enfin, son rôle de préfet dans les massacres du 17 octobre 1961.

 

Cracher sur la tombe de Vergès ? Même pas, car à ce genre d'hommes pétris d'un égotisme monstrueux, même les crachats sont trop d'honneur. Il n'y a pas de salauds « lumineux », juste des salauds tout court, Vergès ne fut que l'un d'entre eux, larbin au service des dictateurs et des bourreaux, qui vendit à d'anciens nazis la souffrance et la mémoire des colonisés.

 

«  Si les tueurs en série nous fascinent, c'est parce qu'en dépit de leurs crimes atroces, ils sont à notre image », disait-il . Laissons-le parler pour lui et saluons plutôt la mémoire de celles et ceux , qui dans ce 20ème siècle hanté par les bourreaux génocidaires ont choisi de leur opposer le rêve d'une autre humanité, solidaire et unie.

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commentaires

S
Je me souviens d'un temps où Vergès était régulièrement invité dans des émissions de télé ou de radio...C'est un fait, les médias aiment bien les salauds.
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